"Troyennes" texte de Kevin Keiss, mise en scène de Laëtitia Guédon
Adapter à la scène contemporaine la pièce d’Euripide est une belle démarche qui relève sans nul doute de la gageure. Et, du moins peut-on le supposer, d’un désir d’interroger ce qui fait encore sens dans ce texte antique pour les individus et les sociétés du XXIème siècle.
Il y avait matière à réfléchir, en effet… Euripide fait parler celles qui n’avaient guère droit à la parole à son époque, les femmes. Davantage encore, il fait parler des victimes, celles de la guerre, guère mieux traitées que du bétail humain. Certes, il n’évoque pas un épisode avéré, historique de sa patrie ; il recourt à la légende, celle de la longue guerre de Troie, narrée par Homère dans « L’Iliade ». Mais l’on devine, sous couvert de références mythologiques, la volonté d’élaborer un discours sur les conflits bien réels qui ont toujours déchiré le monde, en mettant en exergue un de leurs aspects souvent négligé. Car, par-delà l’horreur de la mort des combattants, il y a la tragédie des survivantes : femmes violées, immolées, exilées, traînées en esclavage, enfants assassinés. Peut-on dire que cela a beaucoup changé ?
Il y avait beaucoup à faire à partir du texte d’Euripide, c’est pourquoi la mise en scène de Laëtitia Guédon nous apparaît quelque peu décevante. Le décor épuré, laissant davantage d’espace à la parole, est certes bien imaginé : à gauche, comme refoulé dans un coin, le camp des prisonnières figuré par une palissade en bois ; au fond à droite, un pan incliné ouvrant sur le monde des vainqueurs, des hommes qui laissent passer un messager, toujours porteur de mauvaises nouvelles. Dans l’entre-deux, l’espace où Hécube, reine déchue de Troie, déploie la longue litanie de ses malheurs, elle qui a vu mourir son époux et ses enfants.
Mais on peut s’interroger sur l’opportunité, par exemple, de la représenter enveloppée d’une bâche en plastique transparent …S’agit-il de signifier la contemporanéité de sa souffrance de vaincue, et faire écho aux guerres actuelles ?... De même, faire intervenir les dieux pour respecter le texte original ne semble pas très pertinent. En quoi cela nous parle-t-il, à nous qui savons bien que les conflits humains, trop humains, ne sauraient être un effet d’une quelconque volonté divine ? Leur conférer une part active convenait peut-être à un esprit de l’Antiquité (encore que…), mais certainement pas à ceux d’aujourd’hui. Alessandro Baricco l’avait bien compris, qui a réécrit l’ « Iliade » en retirant toute référence aux dieux : son récit y gagnait en actualité.
En somme, l’adaptation et le jeu emphatique des comédiens ne nous ont pas convaincus. Cependant, saluons celui de Lou Wenzel, dans le rôle de Cassandre, qui rend admirablement le personnage de la prêtresse d’Apollon qui s’élance sans peur vers son destin qu’elle sait tragique. Pure, malgré la brutalité de ceux qui voulaient la souiller; libre, malgré ceux qui veulent la couvrir de chaînes, elle exprime avec force la dignité et la supériorité des victimes sur leurs bourreaux.
Bien que ce spectacle ne tienne pas toutes ses promesses, il est bon de le voir pour réfléchir à notre actualité faite de souffrances, celles de tant de victimes de guerre de par le monde. Nul doute que, par-delà les siècles, la voix d’Euripide porte encore…
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* Théâtre 13 / Seine, 30 rue du Chevaleret 75013 Paris
Réservations : 01 45 88 62 22
Mardi, jeudi et samedi à 19h30
Mercredi et vendredi à 20 h 30
Dimanche à 15h30
Jusqu’au 14 décembre
Sandrine Cambou
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