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" Le Cid " de Pierre Corneille ***

S’il est des pièces de théâtre dont le public se délecte avec gourmandise depuis toujours, c’est bien ce chef-d’œuvre du théâtre classique français « Le Cid », une œuvre majeure écrite par Corneille. Dans son histoire théâtrale, nous en voulons pour preuve les échos dithyrambiques sur l’adaptation de Jean Vilar en 1951, qui avait fait appel à Gérard Philipe, jeune premier de l’époque. Académicien pendant 37 ans de 1647 à 1684, précurseur du romantisme, Pierre Corneille a été l’adaptateur au théâtre de cette légende inspirée d’un personnage réel, Rodrigo Diaz de Vivar, héros espagnol dit le Cid Campeador. «Le Cid » est dérivé du mot arabe sayyid. « Campeador » signifie « Vainqueur de batailles ». D’où le titre de cette pièce monumentale et le prénom attribué à Rodrigue, personnage principal. Corneille nous offre un texte éblouissant, reflétant des situations dramatiques et des personnages piégés par des dilemmes moraux torturants. L’histoire est complexe.

Entre Rodrigue et sa bien-aimée Chimène , un amour passionnel est entravé par un conflit entre Don Gomès, le père de Chimène et Don Diègue, le père de Rodrigue. Jaloux à cause d’un poste important qu’il n’a pas eu, celui de précepteur du fils du Roi de Castille Don Fernand, Don Gomès gifle Don Diègue. C’est le début du déshonneur pour cet homme outragé Don Diègue qui, vieillissant n’aura pas la force de se battre en duel.

Au seuil de la désespérance, le merveilleux Philippe Lebas alias Don Diègue s’afflige : « Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie ! N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?..... Mon bras, qu’avec respect toute l’Espagne admire,….. Tant de fois affermi le trône de son roi, Trahit donc ma querelle, et ne fait rien pour moi ? "

Don Diègue, fait appel à son fils pour sauver son honneur et c’est là le début d’un drame typiquement Cornélien. Rodrigue se doit de provoquer en duel celui qui devait être prochainement son beau-père, c'est-à-dire le père de Chimène. Dans un combat intérieur, au comble du désespoir, et dans une tirade sublime le jeune comédien Arthur Guezennec alias Rodrigue, qui n’en est pas à son coup d’essai, nous subjugue par son allant, son allure, son talent,…. :

« Percé jusques au fond du cœur…… Je demeure immobile, et mon âme abattue Cède au coup qui me tue….. Que je sens de rudes combats !........ Fer qui causes ma peine, M’es-tu donné pour venger mon honneur ? M’es-tu donné pour perdre ma Chimène ? "

Les problématiques de ce dilemme sont multiples. Rodrigue doit-il se battre en duel, par devoir pour sauver l’honneur de son père voire le sien propre ? Doit-il agir par obéissance à son souverain le Roi de Castille, selon les us et coutumes de l’époque ? Ou bien, doit-il renoncer à se battre, contrairement aux valeurs morales d’antan, perdre l’honneur de son père, également le sien et forcément renoncer à l’amour de Chimène ? Une Chimène interprétée par la jeune et prometteuse Lara Tavella. Après moult tourments, Rodrigue décide et s’exprime dans une envolée lyrique : « Allons, mon bras, sauvons du moins l’honneur, Puisqu’après tout il faut perdre Chimène. » Le duel a lieu et le fer de Don Diègue, tenu par le bras de son fils Rodrigue, porte un coup fatal à Don Gomès.

Décision tragique de Rodrigue puisqu’il n’envisageait pas de renoncer à la tradition et la morale de son époque, celle de l’héritage d’honneur. Mais décision terrible, puisqu’il vient de tuer le père de Chimène qui, rejette à présent son amour, ne renonçant pas, elle aussi, à la tradition de l’héritage d’honneur de son père défunt. Elle dissimule son amour devant le roi et lui demande la tête de Rodrigue. Confronté également à cette situation dramatique, le roi de Castille Don Fernand, interprété par le chevronné Cédric Colas, ordonne à Rodrigue de reprendre les armes pour vaincre les Maures et revenir, couronné de lauriers. Dans cet extrait, c’est toute la dimension de Corneille qui donne à son œuvre un aspect poétique. « À ce nom seul de Cid ils trembleront d'effroi ; Ils t'ont nommé Seigneur, et te voudront pour Roi. Mais parmi tes hauts faits sois-lui toujours fidèle Reviens-en, s'il se peut, encor plus digne d'elle ; Et par tes grands exploits fais-toi si bien priser, Qu'il lui soit glorieux alors de t'épouser ».

Rodrigue s’exécute et revient grand vainqueur de tous ses combats. Cependant, Chimène, toujours et plus encore, amoureuse de Rodrigue, devenu un héros national, ne fléchit pas pour autant sa position. Elle obtient encore du roi un duel entre Don Sanche, qui l'aime aussi, et Rodrigue. Elle promet d’épouser le vainqueur. Et ce qui devait arriver arriva…., c’est encore Rodrigue qui sort victorieux de ce duel. Désormais, l’honneur est sauf, Chimène peut accepter d’épouser Rodrigue. Dans cette monarchie de droit divin, la gloire, le devoir, l’honneur et la raison d’état, tout est enfin dans l’ordre, tout est accompli pour que le mariage de ces deux êtres ait lieu enfin.

Cette tragédie pousse notre réflexion à se porter sur le rôle de la transmission, le sens de l’honneur et du devoir dans notre société dite moderne... Ces valeurs ont-elles encore cours ?... Avons-nous définitivement perdu ces valeurs chevaleresques ? Si nous ne pouvons plus cautionner les dettes de sang, que dire simplement de l’honneur ? L’avons-nous perdu ? Ne sommes-nous pas passés de Charybde en Scylla (selon la mythologie grecque), autrement dit, d’un extrême à l’autre, dans nos conceptions des valeurs à travers les siècles ? Quoiqu’il en soit, cette pièce nous offre un très beau spectacle, animé par des comédiens à la diction parfaite, à la hauteur de ce texte unique, de cette langue vivifiante et jubilatoire de Corneille. D’un dépouillement élégant, la mise en scène de Frédérique Lazarini témoigne, comme toujours, de son talent créatif. La sobriété des décors, les espaces scéniques fluides laissant libre cours aux combats d’épée, les effets de sons et lumières discrètement distillés, les costumes chics sans ostentation démontrent aussi la qualité artistique d’une bonne équipe. Une délectation des mots qui font du bien malgré leur dramaturgie, un spectacle à voir sans condition ! ------------------------------------------- *** Artistic Athévains, 45 rue Richard Lenoir 75011 Paris. Réservations : 01 43 56 38 32 / www.artistictheatre.com

Jusqu’au 26 avril 2024 Lydie Léa Chaize

19/02/2024

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