" Lucrèce Borgia " de Victor Hugo à La Comédie Française *
Lucrèce Borgia ! que n’a-t-on pas dit ou écrit sur cette pièce, souvent jouée au théâtre, plus ou moins avec bonheur mais, cette Lucrèce-là incarnée par Guillaume Gallienne, restera inoubliable.
Le rideau se lève sur un tableau typiquement vénitien où l’atmosphère est pesante cependant, on se délecte d’emblée à imaginer l’Italie du XV ème siècle avec ses dorures, ses fastes et ses intrigues dans une Renaissance Etincelante.
Guillaume Gallienne nous apparaît là, devant nous, torse nu, se costumant lentement avec une délicatesse infinie et tout naturellement, comme s’il avait toujours été « La Borgia » ! Il nous offre une femme toute en contraste: une femme sulfureuse, éternelle empoisonneuse, vindicative et parfois drôle ; une mère embarrassée, tourmentée et, à l’instar des héroïnes antiques, une mère aimante au-delà d’elle-même. Quel talent ! On peut déplorer parfois un manque d’émotion surtout dans la scène finale lorsque Lucrèce est tuée par son propre fils et qu’elle lui dit au moment suprême « Je suis ta mère ». Le sentiment maternel ne serait-il pas propre - même au théâtre - au cœur d’une vraie mère ? Voilà un sujet de débat...
Le non moins talentueux metteur en scène Denis Podalydès, ne s’y est pas trompé lorsqu’il a envisagé de lui donner ce rôle : « J'ai choisi Guillaume pour Lucrèce parce que c'est pour moi un acteur imprévisible, extravagant, par moment abyssal, il peut me toucher infiniment comme il peut me faire rire aux larmes, et je pense qu'il faut un acteur comme ça pour ce rôle, où il y a des moments de folie ».
Tout au long de ce spectacle grandiose, par les moyens mis en œuvre mais aussi par l’inventivité artistique, on assiste à des scènes à la fois drôles et émouvantes, un clair-obscur à l’image du destin de l’homme…
On découvre un Gennaro androgyne, quelque peu velléitaire - issu de l’inceste de Lucrèce avec son frère - interprété par la jeune et prometteuse Suliane Brahim. On assiste à un face à face éblouissant entre Lucrèce Borgia et son époux Don Alphonse d’Este alias Eric Ruf, impérial ! Ce dialogue d’une modernité saisissante est un moment de théâtre unique, un morceau d’anthologie. Quant à Christian Hecq dans le rôle de Gubetta, il est un fourbe en diable !..
Le rôle des masques dissimulant la pudeur et les sentiments contradictoires, la musique de Verdi, choisie dans des arias par Bernard Vallery, qui accentue la dramaturgie, la féérie des décors de Eric Ruf (encore lui !), la somptuosité des costumes de Christian Lacroix, toujours aussi talentueux ainsi que le jeu des acteurs, sans oublier les lumières de Stéphanie Daniel, toute cette symphonie contribue à mettre en valeur la beauté de cette œuvre théâtrale singulièrement puissante de Hugo dont l’écriture témoigne de la minutie et de la précision d’un orfèvre. Une véritable délectation du Verbe !
Le théâtre n’a pas fini de s’inspirer d’une telle œuvre où tous les ingrédients des drames et des déviations des sentiments humains sont réunis, peut-être, pour nous faire prendre conscience de notre finitude.
Un moment théâtral à ne pas rater. Deux heures 15 minutes qui passent, comme un oiseau s’envolant à tire-d’aile !…
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* La Comédie Française, place Colette 75001 Paris.
Réservations : 0825 10 1680 / www.comedie-francaise.fr
Jusqu’au 20 juillet 2014.
mai 2014 Lydie-Léa Chaize
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